Le sophisme de la nature
Tractatus Ayyew
Livre Un | Chaptire 6
973 words

À l'opposé des nations cyclocentriques et enrichissantes, notre vision moderne du monde est basée uniquement sur les enseignements d’humains à humains. Des philosophes aux prophètes, des prêtres aux rois, des scientifiques aux scolaires, les enseignants humains ont entièrement façonné notre relation moderne à la biosphère - trop souvent appelée la « nature ». Basé sur ce savoir, nous avons établi les moyens par lesquels nous discernons le bien du mal, la vertu du vice et, accessoirement, avons concentré nos idéologies modernes sur la satisfaction des besoins humains plutôt que sur ceux de tous les autres habitants de la Terre. Aussi pratique et réussi que ce paradigme centré sur l'humain ait été pour la prospérité de l'humanité, l'erreur fondamentale en son cœur a mis en évidence que sans un réajustement de notre vision du monde, nous sommes totalement incapables d'atteindre l'harmonie écologique à laquelle nous aspirons tant aujourd'hui.

Comme nous l'avons vu dans notre dernier chapitre, les nations cyclocentrique sont fondées dans une toute autre manière d'acquérir la connaissance. Plutôt que d'apprendre uniquement des humains, ces sociétés ont reconnu les plantes et les animaux qui les entouraient comme famille, aînés et enseignants. Avec cette approche, ils ont atteint une harmonie profonde et enrichissante avec les cycles de vie dont ils faisaient partie. Aujourd'hui, si nous prenons conscience du lien entre leur ontologie et leur modèle d'enrichissement écologique, nous pourrons entrevoir le modèle anthropocentrique d'épuisement et isoler l'erreur profonde dans notre vision moderne du monde.

Passant des histoires grecques de dieux humains gouvernant le monde aux légendes romaines d'humains le dominant, la société occidentale a mis les homo sapiens sur un piédestal. Des premiers astronomes déclarant que le soleil tournait autour de la terre, aux interprétations bibliques déclarant la domination de l'homme sur la terre et toutes ses créatures, la centralité et l'exceptionnalisme de l'humanité se sont logés dans les profondeurs de la conscience collective occidentale. Au fil des siècles, au fur et à mesure que la philosophie, la religion, l'éthique et la science modernes ont évolué, elles se sont construites couches après couches sur ces anciens dogmes.

Aujourd'hui, nous comprenons mieux notre place dans le monde.

Après des siècles de science, les biologistes ont depuis longtemps rejeté le fait que les humains soient au sommet de l'arbre de la vie. De même, les astronomes ont longtemps réfuté que la Terre soit le centre du cosmos. Ici, la science contemporaine et le savoir ancestral s'alignent. Les deux conviennent que les humains, les plantes et les animaux partagent tous ascendance et origines, action et conséquence, connexion et dépendance. Les deux s'accordent à dire qu'aucun organisme n'est central ou séparé des autres : comme dans un tissage, chacun est une partie inextricable du tout.

Cependant, malgré un rejet universel et sans équivoque, les axiomes de la centralité et de la séparation de l'homme ont persisté, enfouis dans les profondeurs de nos idéologies modernes. Tout comme un bâtiment est souvent construit sur les fondations oubliées d'un ancien époque, ces anciennes erreurs font basculer et incliner nos édifices intellectuels modernes qui continuent à s’appuyer sur elles.

Bien que nos idéologies modernes puissent revendiquer de grandes différences et se vanter d'un savoir-faire scientifique, elles partagent cette base commune. Du capitalisme au communisme, nos visions modernes du monde restent ancrées dans le même axiome archaïque de l'exceptionnalité humaine.

Il n’est rien de plus clair que la façon dont nos idéologies modernes parlent du monde des écosystèmes. Du néolibéralisme au socialisme, les mots mêmes que chacun utilise pour décrire les organismes les biomes et la biosphère qu'ils aiment tant, révèlent pour la plupart leurs amarres profondes dans une hypothèse archaïque anthropocentrique.

En effet, il n'y a pas de mot plus imprégné du poids encombrant d'une ancienne méprise métaphysique que celui de «nature». Ce terme, utilisé avec tant de poésie par les écologistes et les défenseurs de l'environnement pour protéger et préserver le monde « naturel », est hélas imprégné d'un irrémédiable sophisme dualiste : l'erreur ancienne de délimiter l'homme et la nature, la culture et l'écologie, le naturel et l'humain.

C'est sur cette division nette que se construit non seulement la société moderne, mais aussi nos tentatives et efforts environnementaux les plus fervents. Dérivé du terme anglais “environ”, qui signifie encercler ou entourer, « l'environnement » en est venu à signifier ce qui est autour de nous, les humains, mais pas ce qui est nous.⁴⁷

Au cours des dernières décennies, féministes⁴⁸, théologiens⁴⁹ et philosophes⁵⁰ ont observé que l'éthique environnementale moderne qui découle de fondements (lois, directives de ‘sustainability’, objectifs de l'ONU, etc.) est ainsi enfermée dans une perspective d'humain-temps, d'humain-espace et d'humain-besoins, et par conséquent : des droits de l'homme, des intérêts et de l'économie. De ce point de vue, la « nature » est inévitablement objectivée comme quelque chose avec lequel l'humanité est en constante interaction : diriger, gérer, dominer. Nos efforts environnementaux s'efforcent à réduire leurs dommages, protéger et conserver le monde «naturel» du contact humain et de la contamination.

Hélas, d'après ce raisonnement, l'intégration écologique humaine est une impossibilité. En tant que telle, la notion même de contribution écologique humaine est restée pratiquement inimaginable tant par les naturalistes que par les industrialistes.

Banayan et moi observons que non seulement les axiomes de cette logique sont erronés, mais que ses conclusions vont à l'encontre de l'expérience vécue et ancestrale de son peuple Igorot et de celle d'innombrables autres nations cyclocentriques anciennes et actuelles : des cultures dans lesquelles le concept de « nature » est à la fois absent et fondamentalement antithétique.⁵¹

Banayan et moi observons également que l'effort de préservation et de protection de « la nature » est également voué au sort même qu'il vise à éviter. Conserver et protéger une partie d'un système (c'est-à-dire un organisme ou un écosystème) à l'exclusion des autres, et qui en fin de compte, échoue toujours. Alors que les parties voisines se dégradent, le tout aussi se dégrade, et avec lui inévitablement, toutes ses parties aussi.

Pour avancer vers des contributions vertes authentiques, nous devons donc d'abord éradiquer l'exceptionnalisme humain et ses conclusions tordues de notre vision du monde.

Pour ce faire, le concept de « nature » doit se désagréger comme l'ancien acier rouillé qu'il est.

Ce n'est qu'alors que nous pourrons briser nos chaînes anthropocentriques et ouvrir la porte à la régénération écologique que le moment présent appelle avec une telle urgence.

Ce n'est qu'alors que nous pourrons nous aussi voir les plantes et les animaux qui nous entourent comme des alliés, des aînés et des maîtres de l'intégration écologique - des enseignants auprès desquels nous pouvons apprendre à revitaliser notre propre potentiel contributif.

Et ce n'est qu'alors que nous pourrons voir que le plus grand enseignant de tous nous attend depuis longtemps.


Chapter Footnotes